Les échanges d’œuvres protégées : Synthèse

vendredi 28 janvier 2005.
 

Question : cet article a-t-il sa place dans la rubrique "société" ou dans la rubrique "Internet" ?

A première vue, la réponse est évidente : dans la rubrique "Internet". Mais je l’ai placé dans la rubrique "Société" délibérément. En effet, Meme si Internet a servi de cataliseur à ce que certains appellent le piratage, ce dernier n’a pas besoin d’internet pour exister. Internet n’a servi qu’a démultiplier les possibilités d’échange de contenu offertes à chacun, et, comme vous allez le lire, les conséquences vont impacter l’ensemble de notre société et redéfinir totalement l’accès à des pans entiers de la culture. Cet article a donc bien sa place dans la rubrique "société". Bonne lecture.

Introduction : Internet, la révolution

Après de longues années de gestation, l’Internet haut débit se généralise enfin. L’ADSL (ou le câble) permet à la majorité des foyers d’accéder à Internet illimité haut débit pour un prix très abordable (de l’ordre de 30 euros par mois, parfois moins)

L’accès à Internet illimité bouleverse les habitudes des consommateurs. Il n’y a plus aucun besoin de faire attention au temps passé en ligne. Un ordinateur simplement allumé devient potentiellement un ordinateur connecté. On peut être notifié immédiatement de l’arrivée d’un email ; et le ‘chat’ remplace parfois avantageusement le téléphone (coût nul, possibilité de faire des rencontres, pas de limite de distances, possibilité de conférences à plusieurs). Plus encore, il est enfin possible de dialoguer via webcam dans des conditions intéressantes. Tout cela constitue une petite révolution.

De son coté, le haut débit apporte un confort d’utilisation extraordinaire. Non seulement les pages web s’affichent plus vite, ce qui rend la navigation plus fluide ; mais surtout, il devient possible de télécharger des quantités importantes de données en peu de temps.

Mais quelles données télécharger ? La plupart du temps, ce sont les contenus multimédia (films, albums de musiques, jeux vidéo), particulièrement intéressants pour le public, qui requièrent de gros volumes de données.

Des systèmes permettant le transfert de fichiers de ce type sont alors apparus. Ils sont en général basés sur la technologie « peer to peer » (p2p) permettant à deux ordinateurs de s’échanger directement des données, sans passer par un serveur central.

Le PC devient donc aujourd’hui une véritable plate forme multimédia : il est possible d’écouter de la musique, regarder des films, jouer, etc, avec son PC. Le temps où le rôle de l’ordinateur se limitait à la bureautique est révolu. Il est possible de stocker films et musiques sur le disque dur du PC : cela ne prend pratiquement pas de place physique (contrairement à un collection de CD ou DVD), il est très facile d’organiser ses fichiers et d’y accéder (avec un peu d’habitude). On peut transférer ses mp3 sur un lecteur portable, au besoin graver un CD... En résumé, disposer de musiques et films sur un PC présente de nombreux avantages par rapport aux CD ou DVD.

I Le problème en détails

En une phrase, le problèmes posé par ces téléchargements de masse est qu’ils sont bien entendus illégaux. L’utilisateur qui télécharge de la musique ou un film s’abstient de rémunérer ses auteurs, et porte ainsi atteinte aux droits d’auteurs (et je ne parle même pas des producteurs). Et sans rémunération, les artistes ne pourront que disparaître (à commencer par ceux dont les œuvres sont justement plus artistiques que commerciales). Au final, les consommateurs n’auront réussi qu’a détruire ce qu’ils appréciaient tant : la création artistique.

Les systèmes p2p ne sont pas illégaux en soi : ils permettent simplement à des communautés d’échanger facilement, rapidement et à moindre coût des données. Ils sont donc inattaquables et constituent un fantastique progrès aux multiples applications. Ce qui est illégal, c’est l’usage que la majorité des utilisateurs fait de ces réseaux.

Pour rappel, le droit français autorise la copie de support multimédia, lorsqu’il s’agit uniquement d’une copie à usage privé : copie de sauvegarde, ou copie à utiliser par exemple dans sa voiture (CD ou cassette) ou sur son lecteur mp3 portable. En aucun cas, cette copie ne doit servir d’autres personnes (amis...).

On peut s’interroger alors sur les raisons d’un tel développement du piratage. En fait, plusieurs raisons sont liées :

-   L’Internet à haut débit et les réseaux p2p ont mis le piratage à la portée de tous. Les logiciels p2p sont gratuits, simples d’usage et efficaces. Il n’y a plus de limite à la consommation et à l’accès à la culture
-   Mais les fournisseurs de contenu (maisons de disques, éditeurs, producteurs...) ont également leur part de responsabilité : ils ont non-seulement sous-estimé la menace, mais également sous-estimé les besoins des utilisateurs. De nos jours, indépendamment de la problématique de coût (gratuité du piratage), il y a une vraie demande des utilisateurs pour pouvoir accéder à du contenu via Internet et les écouter/visualiser à partir du PC. Les toutes premières offres légales (et donc payantes) de téléchargement de musique ne sont apparues que très récemment.... Seulement, il est un peu tard pour espérer contrer les systèmes illégaux, utilisés par des millions d’utilisateurs. Il n’y a d’ailleurs aucune offre en France permettant de télécharger légalement des films. Et de toutes façons, un utilisateur a toujours plus d’intérêt à utiliser le système gratuit plutôt que celui qui est payant. De plus, La réaction des fournisseurs de contenus, axée sur la répression et le rejet d’Internet, est totalement inappropriée car ils engagent ainsi une guerre perdue d’avance contre leurs propres clients. [1]
-   Enfin, les fournisseurs d’accès Internet jouent aussi un rôle dans le développement du piratage : les campagnes de publicité pour les accès haut débit sont souvent basées sur la possibilité de télécharger gratuitement musique et films : bref, c’est une incitation au piratage.

Mais les premiers responsables sont bien sûr les utilisateurs, qui prennent seuls la décision de pirater ou non. La situation est telle que certains utilisateurs n’ont même pas l’impression de faire quoi que ce soit de ‘mal’ (qu’ils sachent ou non que ce qu’ils font est illégal).

Cependant, il faut bien distinguer deux catégories de pirates :
-   Il y a le pirate qui télécharge simplement de la musique pour son usage personnel. Il évite ainsi la perte de temps dans les magasins et surtout fait de grosses économies. Le contenu devenant gratuit, il peut également se permettre de ‘consommer’ beaucoup plus qu’avant.
-   L’autre type de pirate est celui qui gagne de l’argent grâce au piratage : il télécharge des musiques, grave des CD, qu’il revend 5 à 10 fois moins cher qu’en magasin (tout en gardant une marge confortable). Cet acte est beaucoup plus grave, puisque dans ce cas, et dans ce cas seulement, on peut vraiment parler de « vol » des fournisseurs de contenu et des artistes.

La culpabilité ‘morale’ du pirate qui n’agit que pour son usage personnel est d’ailleurs bien plus complexe à établir. En effet, est-il moralement critiquable de se procurer une musique que l’on n’aurait de toutes façons pas achetée (que l’on apprécie, mais pas forcément suffisamment pour dépenser 20 euros pour pouvoir l’écouter) ? On consomme forcément plus lorsque c’est gratuit ou peu cher... Dans le même ordre d’idées, est-il vraiment critiquable de télécharger un morceau ou un film que l’on ne connaît pas ou mal, afin de le découvrir ? Certains utilisateurs scrupuleux téléchargent de grandes quantités de contenus, qu’il gardent ou pas dans leur PC, mais vont ensuite toujours acheter en magasin les CD et DVD de ce qui leur plait vraiment parmi tout ce qu’ils ont téléchargé. Dans cette optique, les réseaux pirates deviennent les meilleurs outils de promotions qui soient (et gratuits en plus) !

II L’industrie du disque en déroute

Une baisse des ventes ?

Il est certes possible de réprouver le lien de cause à effet entre la forte baisse des ventes de disques actuelle et le développement du téléchargement sur Internet. On peut en effet attribuer la baisse des ventes à d’autres causes que le seul téléchargement illégal :
-   la crise économique. L’industrie du disque étant une industrie de loisir, et non de première nécessité, il est normal qu’elle soit touchée assez fortement dans une période économique difficile comme celle que nous connaissons.
-   l’explosion de l’offre de loisirs (CD, DVD, DVD musicaux, téléphones mobiles, TV par satellite, activités diverses...) alors que les budgets des ménages n’augmentent pas particulièrement...
-   plus controversé, la qualité et la diversité restreintes des oeuvres proposées. Il ne faut pas s’étonner que les ventes baissent lorsqu’on voit le succès (enfin l’échec) en salle des films ‘blockbusters’ de l’été et leur qualité ! La même remarque peut être faite du coté de la musique, dans un marché de plus en plus dominé par les productions et artistes ‘jetables’, oubliés après 6 mois.

La mise à disposition gratuite d’œuvres sur Internet peut même être un moteur de vente (c’est de la publicité gratuite).

Il est très difficile d’évaluer la part de responsabilité précise de chacun de ces quatre phénomènes dans la baisse des ventes, et encore plus la part ‘positive’ de l’effet des échanges P2P sur les ventes.

Cependant, il est plus que probable qu’un certain transfert s’amorce concernant l’accès aux œuvres musicales et cinématographique : du support physique vers l’Internet. Ce qui peut éventuellement être considéré comme un faux problème aujourd’hui en sera très certainement un vrai à terme, lorsque le mouvement se sera accentué. Il est donc temps de réagir.

La protection des CD : meilleur exemple de l’absurdité du comportement des majors

Depuis quelques mois, les CD ‘protégés contre la copie’ fleurissent dans les magasins. L’idée est de toucher le piratage à sa source, en empêchant la réalisation de copies. Le but est aussi d’empêcher les utilisateurs de mettre le contenu du CD sur Internet, à la disposition des autres internautes. Diverses solutions techniques ont été testées et sont encore utilisées, avec toujours le même résultat absolument ahurissant :

-  Ces protections sont inefficaces : en quelques jours, les pirates ont toujours trouvé un moyen de contourner les protections. Ces parades sont en général très simples (la dernière en date consiste simplement à appuyer sur une touche du clavier de l’ordinateur lorsqu’on insère le CD). On se demande vraiment pourquoi des entreprises dépensent des sommes d’argent vertigineuses dans la recherche de tels systèmes, d’autant plus qu’il y aura toujours une solution pour réaliser des copies sur ordinateur, quel que soit le système de protection mis en place sur le CD : tout CD se doit d’être lisible sur les platines de salon (type hi-fi), et ces lecteurs disposent en général d’une sortie numérique, destinée à être utilisée sur les amplificateurs haut de gamme, afin de leur transmettre le meilleur signal possible. Il est tout à fait possible de connecter cette sortie numérique à l’entrée numérique d’un PC, et de réaliser ainsi une copie sans la moindre dégradation de qualité. La seule contrainte est le temps nécessaire à la manipulation, bien plus long que pour une copie ‘directe’ sur PC.

-  Ces protections sont de plus absurdes et inacceptables pour le consommateur ‘honnête’. En effet, dans leur principe, elles bafouent le droit à la copie privée, ce qui en soit est déjà très grave. Mais en plus, ces protections que l’on nomme ‘anti-copie’ sont en fait ‘anti-lecture sur certains lecteurs’. En effet, leur fonctionnement ne consiste pas à empêcher la copie, mais bien la lecture du CD sur un ordinateur. C’est absolument intolérable : comme indiqué précédemment, un ordinateur est aujourd’hui une véritable station multimédia. Un lecteur de CD de PC est un lecteur de CD audio, compatible avec la norme correspondante. Ces CD protégés ne respectent donc pas la norme ‘CD-audio’ puisqu’ils sont illisibles sur un lecteur qui lui la respecte. Il s’agit là tout simplement d’une incitation au piratage : l’utilisateur qui utilise son PC pour écouter sa musique, quelles que soient ses raisons (pas assez de place ou d’argent pour acheter une chaîne hi-fi ET un PC, ou préférence pour l’ergonomie d’un PC), ne peux pas en disposer sur un CD acquis légalement : il ne lui reste plus qu’à télécharger illégalement le morceau sur Internet s’il veut pouvoir l’écouter. Pire encore, ces systèmes de protections empêchent aussi la lecture des CD sur des lecteurs autres que les PC (autoradios ou lecteurs de salon anciens...)

Nous voyons donc que ces systèmes pénalisent plus le consommateur honnête que le pirate. Les industriels seraient bien inspirés d’utiliser leur argent et leur neurones à chercher des solutions pertinentes, quitte à se remettre un peu en cause, plutôt que de persister à chercher de fausses solutions vouées à l’échec, qui constituent en pratique des incitations au piratage, effet inverse de celui recherché.

Mieux valoriser les CD et DVD

Même si à l’avenir une part très importante de l’accès aux œuvres musicales et cinématographiques se fait via Internet et non plus via l’achat de CD et DVD, les supports physiques ne seront certainement pas amenés à disparaître totalement comme cela peut être le cas pour les cassettes par exemple.

En effet, le contexte est un peu différent compte tenu de la différence énorme qui existe entre les deux ‘systèmes’, (l’un matériel, l’autre immatériel). La qualité d’un DVD ou CD est meilleure que celle d’un fichier mp3 ou DivX. L’utilisateur exigeant se tournera donc encore pendant longtemps vers ces supports.

Mais surtout, le disque est un objet, que l’on peut être fier de posséder, auquel on peut s’attacher, ce qui est impossible avec un simple fichier informatique. C’est probablement cette spécificité, trop longtemps négligée, qui sauvera le disque : le disque se vendra moins, mais il se vendra mieux. Pour cela, il faut impérativement que les acteurs de ce marché revalorisent leur produit : travailler sur la packaging, proposer des coffrets Collector, des éditions spéciales, systématiquement inclure un livret au graphisme travaillé, avec les textes des chansons et pourquoi pas les partitions...Il faut donner envie au consommateur de posséder l’objet ; et ce n’est pas en vendant le disque dans une minable boite en plastique qui casse au premier petit choc et avec une bête feuille de papier au design bâclé, ce qui est le cas de la grande majorité des disques de nos jours, que les disques perdureront ; car dans ces conditions, il n’apportent rien de plus qu’un simple fichier.... sauf qu’ils coûtent beaucoup plus cher.

Cependant, il ne faut pas attendre de miracles de cette approche. Le miracle, c’est Internet. Défendre un support comme le CD ne permettra que • de ralentir le transfert du CD vers les réseaux d’échange • et de maintenir à terme les ventes de CD et DVD à un niveau résiduel, plutôt que de les voir disparaître, ce qui devrait être fortement apprécié de ceux qui vivent aujourd’hui de la vente de disques.

La véritable problématique est de savoir comment la loi et l’industrie doivent accompagner le transfert de la consommation de musique et films du support physique vers l’Internet, dans le but de préserver autant que possible les équilibres financiers qui le méritent (et seulement ceux là). Il s’agit donc de savoir comment les artistes vont pouvoir survivre dans ce nouvel environnement.

III Les vaines tentatives de lutte contre le piratage

Diverses solutions sont envisagées ou mises en œuvre pour lutter contre le piratage.

Les solutions techniques sont systématiquement contournées par les pirates. D’autres part, elles représentent souvent des contraintes difficilement acceptables pour le consommateur honnête (restrictions d’usage, non respect de ses droits élémentaires...)

Reste les solutions d’ordre législatives et judiciaires.

Coté législatif, la récente loi sur l’économie numérique (LEN) a pour but de clarifier les responsabilités des différents acteurs de l’Internet (fai, hébergeurs, webmasters...). Elle constitue une avancée sur bon nombre d’aspects, mais effectue un navrant retour en arrière sur un point : un hébergeur sera tenu responsable et pourra être incriminé à partir du moment où il a été informé que le contenu d’un site qu’il héberge était « illégal ». Cette mesure est en soit bénéfique, mais présente un effet pervers dramatique : n’importe qui, mécontent du contenu d’un site (une critique de consommateur, par exemple), peut contacter l’hébergeur, l’informer qu’il juge illégal tel ou tel contenu (diffamation...). Si l’hébergeur ne fait rien, l’hébergeur pourra se retrouver en justice et condamné s’il n’a rien fait pour faire disparaître le contenu douteux. Il ne prendra donc pas de risque et fera fermer systématiquement le site concerné. Seul problème... dans cette affaire, qui a jugé du caractère illégal du contenu du site ? N’importe qui ! Tous les abus seront permis, et les amendements devant éviter ces effets de bord ne seront pas efficaces ! Encore une loi conçue par des personnes influencées par des lobbies ou qui ne comprennent rien à la problématique sur laquelle ils légifèrent ! La loi actuelle, obtenue après une difficile bataille protège la liberté d’expression en ne rendant l’hébergeur responsable qu’à partir du moment ou il a été informé PAR LA JUSTICE de l’illégalité du contenu (musiques à télécharger par exemple) d’un des sites qu’il héberge et ne fait rien pour y mettre fin.

De toutes façons, cette loi ne résout pas le problème du piratage puisque l’essentiel du piratage se fait maintenant via les réseaux p2p et non sur des sites hébergés. Il faudrait dans ce cas, impliquer également les fournisseurs d’accès et les obliger à filtrer ce que téléchargent les abonnés. Si tant est que ce soit possible (c’est peu probable à grande échelle), et que les pirates ne trouvent pas de parades (encore moins probable), c’est difficilement envisageable : cela mettrait fin au développement d’Internet en France, par ailleurs vital pour l’économie d’une manière plus globale. Les enjeux sont énormes, et personne ne peut se permettre de tuer la poule aux œufs d’or.

Dernière solution, la lutte ‘policière’, la peur du gendarme. Le pirate ne risque pratiquement rien de nos jours. A part quelques rares cas isolés destinés à servir d’exemple, il n’y a pas de sanctions réelles pour les pirates aujourd’hui. Cependant, le ‘flicage’ de tous les internautes demanderait des moyens considérables. Les sections de police et gendarmerie qui se consacrent à Internet manquent déjà de moyen pour pouvoir mener une lutte autrement plus importante : celle de la grande criminalité via le net : pédophilie, terrorisme, mafias diverses, ou même simples ‘arnaques’... alors elles ont vraiment autre chose à faire que de courir après le petit délinquant qui a téléchargé une dizaine de MP3 ! De plus, compte tenu du nombre de contrevenants (des millions), ce genre de lutte est voué à l’échec quel que soient les moyens mis en œuvre.

IV Les nouveaux droits des utilisateurs

Devant l’inefficacité certaine de toutes les formes de lutte contre ce phénomène, et compte tenu du progrès formidable que cette évolution pourrait apporter si elle était maîtrisée, il ne reste pas d’autre solution que de reconnaître les droits que se sont appropriés de fait les consommateurs. Nous ne sommes pas face à un simple comportement délictueux, mais à un phénomène de société majeur, contre lequel nos dirigeants et l’industrie de la création ne peuvent aller. Tout au plus peuvent-ils espérer le canaliser.

Le numérique n’est pas une simple évolution technologique. C’est une petite révolution car l’introduction du numérique dans notre vie modifie profondément les habitudes et même dans une certaine mesure la mentalité des consommateurs. Le numérique apporte donc ces changements structurels auxquelles notre société doit s’adapter. Parmi ces adaptations, on remarque le besoin de reconnaissance de nouveaux droits pour le consommateur.

- Le droit d’usage

Les nouvelles technologies numériques rendent caduques et absurde toute restriction au droit d’usage privé (et à but non onéreux) des œuvres dont l’utilisateur a dument acquis les droits d’usage (achat d’un CD par exemple).

Avec les dernières technologies numériques, toute redevance pour droit à la copie privé n’a plus lieu d’être car il n’est raisonnablement pas imaginable de vouloir limiter ou dénombrer ces copies :
-  Les outils les plus modernes (baladeurs mp3 par exemple) et les plus fonctionnels sont basés sur l’usage intrinsèque et massif de copies des œuvres (qui n’ont pas forcément vocation à être illégales).
-  La multitude de supports disponibles rend impossible l’application de cette redevance sur tous les supports.
-  Plus grave, les supports sont maintenant banalisés et multi-usages (Contrairement à une cassette audio, un CD Rom ne sert pas à stocker que de la musique, mais tout type de données, à commencer par des données ne justifiant aucune redevance). Dans ce contexte, il devient inacceptable et injuste de ‘taxer’ aveuglement les supports concernés.
-  Enfin, la baisse vertigineuse et constante des prix des supports informatiques amène à une situation où la part de la redevance dans le prix final du support est absolument déraisonnable (déjà aujourd’hui, près de la moitié du prix d’un CD vierge correspond à la redevance).

L’innovation technologique apporte une multiplication des supports disponibles à chacun mais pas forcément une augmentation du taux d’écoute de musique (idem pour les films). Il est donc absurde et méprisant de vouloir que le consommateur paye plusieurs fois pour pouvoir écouter une même œuvre ‘à la demande’, qu’il utilise ou non différents supports (nécessitant autant de copies). C’est absolument injustifié et de toutes façons ce n’est en pratique plus applicable.

Dans le même ordre d’idées, les technologies DRM, visant à limiter techniquement l’usage que fait l’utilisateur de son fichier, en plus d’être facilement contournables, sont inacceptables car elles ne respectent pas les attentes légitimes des utilisateurs et vont de plus à l’encontre d’un des principes de base de l’informatique : l’indépendance entre contenus et supports [1]

Il est donc temps de simplifier et clarifier la législation, qui reconnaît aujourd’hui un droit à la copie privée particulièrement restreint et fait payer ce droit via des redevances. Il est temps d’accorder enfin à l’utilisateur les droits qui auraient toujours dû être les siens : A partir du moment où l’utilisateur a acquis un droit d’usage, ou « d’écoute » d’une œuvre (quel que soit le moyen : achat d’un CD par exemple, ou toute autre méthode), il ne doit subir aucune restriction concernant l’utilisation de ce droit dans un cadre privé et à but non onéreux. L’utilisateur doit pouvoir librement et gratuitement réaliser toutes les copies dont il a besoin pour écouter sa musique/visionner son film où, quand, et comment il le souhaite.

Ne pas reconnaître ce droit serait se placer en décalage complet avec l’évolution des technologies et l’évolution des habitudes des consommateurs qui en découle naturellement.

- Le droit de partage

Qu’on le veuille ou non, Internet est un monde de partage. Chaque utilisateur n’est pas un simple consommateur, mais peut être véritablement un acteur du net. Le partage est une des raisons d’être d’Internet. Internet est un réseau qui permet de partager facilement et à moindre coût tout type d’information numérique. Les œuvres musicales et cinématographiques étant numérisables (autant que les livres d’ailleurs), ce sont des contenus susceptibles d’être partagés sur le net. Certes, cela pose aujourd’hui un problème vis-à-vis des droits d’auteurs (sauf pour ceux qui ont l’audace de placer leurs œuvres sous copyleft et non copyright), mais comme nous l’avons vu, il n’est pas envisageable (ou possible) de mettre un frein à ce comportement.

Avec Internet, apparaît donc le besoin de reconnaissance d’un nouveau droit : Le droit à la diffusion a but non onéreux des œuvres, accompagné du droit à accéder librement, et sans limites à tout le contenu disponible via ce système (vous reconnaîtrez le P2P). Appelons simplement ce droit le droit de partager.

Bien entendu, l’accès à ce nouveau droit ne pourra pas être gratuit : l’efficacité extraordinaire des systèmes P2P (ou autres) quant à la diffusion de contenus n’affranchit pas du problème de rémunération des auteurs. Il est donc important de mettre en place un système qui permette à l’utilisateur de disposer de ce droit, moyennant une rétribution financière acceptable pour tous (le consommateur, les artistes et accessoirement les producteurs). Après tout, lorsqu’on va au Cinéma ou à un concert, on paye bien une certaine somme pour avoir le droit d’accéder à la salle.

V Tout un système économique remis en cause

La valeur de la musique en ligne et la mutation nécessaire des intermédiaires

A partir du moment ou l’industrie de la musique migre vers Internet, des économies (ou gains de productivités) considérables vont pouvoir être réalisées :
-   coûts de fabrication du support nuls
-   coûts de distribution considérablement réduits (dans le cas de systèmes contrôlés) voire nuls (dans le cas des systèmes P2P)
-   coûts de promotion également réduits. Internet, bien utilisé, permet de faire la promotion d’un produit pour un coût bien moindre que via les systèmes traditionnels

Il n’y a donc aucune raison que les consommateurs acceptent ou soient obligés de payer pour ces ‘frais’ alors qu’il existe aujourd’hui un moyen de les éliminer : Internet

D’autre part, conséquence de ces économies possibles, le rôle des intermédiaires (producteurs...) est considérablement minimisé.

La distribution, diffusion et promotion d’une œuvre via Internet nécessitent infiniment moins de moyens que dans les circuits traditionnels. Internet permet de rapprocher les artistes de leur public comme jamais ils ne l’ont été ! En effet, grâce à la démocratisation du numérique et d’Internet, un artiste courageux et un peu au fait des technologies web peut se débrouiller seul, et s’auto-produire à moindres frais. Pour les artistes souhaitant rester concentrés sur leur cœur de métier, il sera possible de faire appel à des structures de production plus légères, aux frais généraux réduits, donc plus compétitives. Les intermédiaires ne sont plus indispensables mais seulement ’potentiellement utiles’ (pour décharger l’artiste de tâches dont il ne désire pas s’acquitter lui-même). Ils vont donc devoir revenir au réel service des artistes et, c’est nouveau, devenir également fournisseurs de services pour les consommateurs. Les producteurs, et non plus les artistes, seront les demandeurs.

Cette évolution permettra également de sortir de l’actuelle situation de monopole, ou artistes et publics sont pratiquement pris en otages par 5 grandes sociétés multinationales. Dans ce contexte, les intermédiaires ne seront plus en mesure d’exiger les marges d’exploitation qu’ils dégagent aujourd’hui.

Toutes ces économies additionnées doivent permettre de réduire considérablement la part du marché de la création revenant de droit aux intermédiaires (producteurs...). Une tentative de bilan économique [2] permet d’estimer cette économie à environ 60% pour la musique. La valeur globale du marché de la musique est donc réduite d’autant dans l’hypothèse d’une migration à 100% vers Internet

Tout en veillant à préserver la rémunération globale des artistes, il est donc aujourd’hui possible de permettre au public d’accéder à la création pour un coût global bien moindre que dans l’économie actuelle.

L’immobilisme intellectuel des majors face au problème des téléchargement sur Internet, bien qu’inacceptable, est donc compréhensible : elles ont beaucoup à perdre avec ce système, à commencer par la mainmise absolue qu’elles détiennent sur la création. Mais elles doivent comprendre que le public ne leur laisse qu’un choix : s’adapter ou disparaître.

Et ce ne sera que justice : Le public consommera plus non pas parce qu’il apprécie plus (la qualité du travail des artistes n’augmente pas spécialement), mais simplement parce que l’accès à l’œuvre lui est plus facile (moins cher et plus rapide). Si augmentation des ventes ‘globales’ il y a, le bénéfice financier doit donc revenir aux consommateurs. Cette augmentation des volumes de vente doit se traduire par des prix encore et toujours plus bas (jusqu’à atteindre un équilibre) et non pour augmenter les revenus des artistes et producteurs. Ils s’agit bien de tenter de sauver un système en proposant des prix UNITAIRES les plus bas possibles permettant de réduire l’écart avec le piratage et faire revenir un maximum de clientèle vers de systèmes légaux, tout en préservant la rémunération ‘globale’ des fournisseurs de contenus et artistes (sur le long terme). Les artistes quant à eux y gagneront une diffusion plus large de leur travail, de leurs idées et de leurs combats, ce qui est censé représenter leur raison d’être.

Autrement dit, les fournisseurs de contenu doivent enfin accepter les choses telles qu’elles sont : ils ont raté une étape de leur migration, cela a laissé la porte ouverte à un piratage intensif. Il s’agit maintenant de survivre, et ce n’est pas en étant trop gourmand qu’ils y arriveront. Les prix (et méthodes) pratiqués sur les premiers systèmes légaux de téléchargement de musique sont dissuasifs, étant à peine moins élevés qu’un CD. Ce n’est pas avec une telle politique qu’ils réussiront à s’imposer sur Internet.

Il ne faut pas voir un Internet idéal comme un moyen de gagner plus d’argent avec la même musique, mais au contraire comme un moyen de diffuser beaucoup plus pour le même prix !

VI Les pistes pour sortir de la crise

La problématique est complexe, et si les solutions étaient faciles à élaborer et mettre en place, cela fait longtemps que cela aurait été fait, compte tenu des enjeux. Cependant, diverses pistes sont à étudier. Bien évidemment, elles obligent les acteurs de l’industrie à se remettre en cause, à innover et rattraper leurs erreurs... tout un programme, et qui doit encore prouver son efficacité (relative ou totale).

La première piste consiste simplement pour les acteurs du marché à Concurrencer les systèmes permettant les téléchargements illégaux.

Cependant, pour être compétitifs aux yeux des internautes, ils doivent proposer un système infiniment plus séduisant que les premiers systèmes existants comme i-Tunes. Les intermédiaires doivent assimiler les règles et la culture d’Internet. Moyennant un prix raisonnable pour les utilisateurs, ils doivent offrir :
-   la possibilité de télécharger massivement des œuvres dans des formats ouverts et standards. Pour cela, le principe de l’abonnement (accès illimité) ou éventuellement du forfait (donnant accès à un nombre limité, mais malgré tout assez élevé de téléchargements mensuels) est tout à fait envisageable. Ce serait d’ailleurs le meilleur moyen de garder le consommateur captif et de garantir dans une certaine mesure les revenus de l’industrie.
-   des services à valeurs ajoutée, que les services P2P basiques seraient incapables de fournir, et qui rendraient donc cette offre plus attractive que le piratage bien qu’elle soit payante (à condition bien entendu que le prix demandé soit raisonnable par rapport à ce que sont prêts a accepter les internautes). Parmi ces services à valeur ajoutée, on peut imaginer, par exemple réductions sur les places de concerts et éditions collector de CD, possibilité de re-télécharger simplement (et gratuitement) l’ensemble des œuvres déjà téléchargées en cas de pertes de données, page d’accueil personnalisée qui informe l’internaute des nouveautés en fonction de ses goûts, moteur de recherche évolué...

Un tel système aurait pour avantage de créer une rupture minimale par rapport au système actuel. Les intermédiaires pourraient garder le contrôle des contenus téléchargés via ce système légal. L’internaute, certes devrait payer pour avoir ce qu’il a aujourd’hui gratuitement, mais il y gagnerait en confort d’utilisation et en service.

Il y a tout de même quelques limites non négligeables à ce système :
-   rien ne garantit que les intermédiaires ne soient capables de construire cette offre de manière suffisamment attractive pour que les adeptes du piratage changent leurs habitudes.
-   ce système ne respecte pas le « droit au partage » précédemment évoqué puisque les intermédiaires gardent le contrôle sur les téléchargements (via un système qui ne peut d’ailleurs être que plus coûteux que les systèmes P2P actuels).

Enfin, ce système, et c’est aussi un de ces avantages, ne pourrait être mis en place qu’à la seule initiative des intermédiaires actuels. Or, quand on voit la réduction de leur activité (de leur importance) que « l’Internetisation » de la création représente, on peut comprendre qu’ils soient très frileux à créer un tel système. Il est évident que les intermédiaires actuels préfèrent vendre des CD que proposer un système ou ils ont beaucoup moins à gagner.

Dans le cas où les intermédiaires actuels ne trouvent pas le courage d’engager cette mutation, il y a peut être un moyen de leur donner une dernière chance, en leur ‘forçant la main’. De plus, ce coup de pouce pourrait passer par un système particulièrement séduisant pour l’utilisateur.

La légalisation du partage d’œuvre copyrightées

Il s’agirait de légaliser l’échange d’œuvres copyrightées (quel qu’en soit le moyen.... Internet en tête), moyennant bien entendu une rétribution (mensuelle ou annuelle) destinée à compenser pour les artistes et leurs intermédiaires les pertes engendrées par cette nouvelle pratique.

Cette idée, au début fortement critiquée a depuis fait son chemin. Plusieurs avant-projets particulièrement réfléchis ont déjà vu le jour, tel que la Licence de Diffusion Culturelle (LDC) de Guillaume Champeau [3] ou celui de l’EFF [4]. Il apparaît aujourd’hui que cette solution serait la seule qui règlerait le problème tout en permettant au public de tirer au mieux partie des potentialités d’Internet, cependant, sa mise en œuvre présente de nombreuses difficultés et beaucoup de choses restent à définir.

Comment prélever l’argent ? Il faut distinguer deux caractéristiques possibles de cette rétribution : le caractère obligatoire et le caractère systématique. Bien évidement, le paiement de cette rétribution doit être obligatoire pour toute personne voulant accéder aux réseaux de partage (que ce soit pour fournir du contenu et/ou en capter). Cependant, elle ne doit pas nécessairement être systématique.

En effet, il parait fondamental que cette rétribution soit prélevée au plus près de l’utilisation des réseaux d’échange. Cela signifie que seul un système faisant payer les utilisateurs réels de ces systèmes est acceptable.

Une redevance payée par tous, par exemple sur l’achat de supports, sur l’accès Internet ou même seulement sur le trafic montant serait inacceptable car elle pénaliserait gravement des utilisateurs qui n’ont rien à voir avec ces réseaux d’échange et serait perçue comme une taxe supplémentaire dans notre pays dont l’un des plus grand maux est justement la surcharge de prélèvements obligatoires.

Or ; il n’existe pas aujourd’hui de moyen fiable pour contrôler précisément (et en respectant les libertés individuelles) l’usage que l’internaute fait de sa connexion et même de ses outils numériques au sens large (le numérique, ce n’est pas que Internet). L’existence d’un tel moyen permettrait de rendre le prélèvement de cette rétribution systématique. Mais à défaut, un système basé sur une déclaration volontaire et un système répressif dissuasif (qui cette fois serait justifié) n’est-il pas le plus acceptable (à l’image de notre déclaration de revenus) ?

Quelles conditions d’exercice du droit de partage ? Simple détail, qui peut paraître évident mais qu’il est tout de même bon de préciser : le droit de partage inclut un droit de mettre les œuvres en notre possession à disposition d’autres personnes. Pour que le système fonctionne, il est évident que ce droit de mise a disposition ne peut s’exercer que vis-à-vis de tiers ayant eux même acquis ce droit en ayant payé la rétribution.

Dans le cas où cette rétribution se fasse sous forme d’abonnement, ce qui est le plus probable, il serait bon de se poser la question du devenir des droits de l’utilisateur lorsque l’utilisateur décide de mettre fin à cet abonnement. La fin de l’abonnement signifie évidement la fin du droit à partager (donner et/ou recevoir), mais devrait très certainement s’accompagner d’une conservation du droit d’usage (à titre privé et non onéreux) pour les œuvres acquises lorsque l’utilisateur payait son droit de partage.

Combien d’argent et pour qui ? La proportion de la rétribution revenant aux intermédiaires doit évidement être évaluée avec soin (tout comme le montant global et unitaire de cette rétribution). La LDC évoque 25% pour les intermédiaires : C’est un chiffre qui parait raisonnable compte tenu du rôle réduit de ces derniers dans un système basé sur l’Internet et l’échange direct entre internautes. Si l’on se réfère à ma tentative de bilan économique, on arrive à 28.33%, ce qui est du même ordre de grandeur.

Cependant, il faut bien comprendre que pour pouvoir se contenter d’une part aussi faible par rapport à ce qu’ils gagnent aujourd’hui, les intermédiaires vont évidement devoir se restructurer, au même titre que pour la première solution évoquée. L’avantage de cette solution est qu’elle leur force un peu la main.

Enfin, il reste un problème à régler : comment répartir l’argent collecté entre les artistes puisque dans les systèmes P2P actuels, il est impossible de mesurer le succès de tel ou tel artiste ou œuvre ?

Le plus important, c’est que cette solution respecte le droit au partage revendiqué plus ou moins explicitement par les Internautes, mais constituant l’un des fondements d’Internet. Ce serait un progrès considérable !

La dernière solution, la plus osée et ambitieuse, remet profondément en question le fonctionnement actuel du monde artistique.

Remplacer le Copyright par le Copyleft

Une poignée de créateurs préfère aujourd’hui placer leurs œuvres sous Copyleft plutôt que copyright. C’est un pari osé, mais qui peut s’avérer gagnant.

Le copyleft consiste, sur seule décision du créateur de l’œuvre, à reconnaître (et accorder gratuitement) les deux droits fondamentaux de l’utilisateur mentionné ci-avant : droit d’usage, mais également droit à la copie et diffusion, à condition en général que le but ne soit pas commercial.

Toute personne désirant réaliser un usage commercial d’une œuvre copyleftée (donc gagner de l’argent grâce au travail du créateur) retombera dans un système classique ou il devra verser des droits au créateur. En effet, il parait juste que les auteurs puissent vivre de leur travail, et d’autant plus si ce travail permet de générer de la valeur économique.

Cependant, le copyleft, s’il devenait massivement appliqué par les auteurs, risquerait de réduire considérablement leurs revenus, toute une partie de l’usage de leur travail devenant gratuit.

Les auteurs travaillant aujourd’hui sous copyleft prétendent en général s’y retrouver économiquement : le copyleft permet une diffusion massive de leur travail, et donc une formidable promotion gratuite. Cet effet ‘publicité’ se ressent sur les distributions commerciales de leurs œuvres et assurent ainsi leur viabilité économique. Mais ce principe peut-il fonctionner sur tous les types d’œuvres (le copyleft concerne aujourd’hui essentiellement les livres) et est-il toujours viable s’il est appliqué à grande échelle ? C’est probable, mais cela nécessiterait un changement de mentalité de la part de tout le monde. Un usage massif du copyleft ne serait possible qu’accompagné de mesures complémentaires, destinées à compenser le manque à gagner qui serait généré, tout au moins pour certains. Les artistes devraient apprendre à gagner de l’argent autrement que via la diffusion de leurs œuvres (les musiciens devraient peut-être faire beaucoup plus de concerts, par exemple, ou valoriser plus les produits dérivés). Il serait également appréciable de revaloriser le mécénat. On pourrait par exemple imaginer la mise en place d’un système permettant de rétribuer un auteur très facilement via Internet, de manière totalement volontaire et non plus obligatoire. Quel Fan conscient de la nécessité des artistes de vivre refuserait de verser une rétribution raisonnable au créateur dont il apprécie tant le travail ? Bref, c’est toute une économie à recréer, et ce ne pourra pas se faire en un jour.

Et pour les films ?

Dans le même ordre d’idées, il faut peut être revoir les modèles de commercialisation des œuvres cinématographiques. Pour les films, la problématique est différente, car un téléchargement ne vaudra jamais une séance de cinéma. Seules les ventes de DVD, revenu complémentaire (mais d’importance) du cinéma peuvent être affectées par les téléchargements. Certes, un film est disponible sur Internet en général quelques jours après sa sortie en salles (parfois avant). Ceci n’est sûrement pas pour plaire aux professionnels du cinéma, mais cela correspond à une vraie demande du public ; et à y réfléchir, les professionnels peuvent tout à fait y trouver leur avantage. Le public désire disposer chez lui des films dès leur sorties pour 2 raisons :
-   soit pour se faire une idée du film. Si le film est bon, cela ne fera que les inciter à aller le voir en salle, et c’est tout bénéfice pour l’industrie cinématographique. Si le film est mauvais, le consommateur n’ira pas voir en salle un film qui l’aurait déçu, il ne perd pas son argent, et nous ne plaindrons pas les professionnels dans ce cas.... ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux même. Le P2P peut donc être un moyen de promotion formidable pour l’industrie du cinéma. Que les professionnels mettent à disposition des internautes les 30 premières minutes d’un bon film sur Internet (avec une bonne qualité d’image) 15 jours avant sa sortie en salles, et l’effet bénéfique sur les entrées en salles ne manquera pas de se faire sentir : les internautes se précipiteront pour voir au cinéma la suite du film qu’ils on commencé à découvrir sur Internet.
-   soit pour se remémorer un film qui lui a plu, juste après l’avoir vu en salle. En effet, il est particulièrement frustrant de devoir attendre plusieurs mois avant de pouvoir revoir le film que l’on a aimé. Dans ce cas, pourquoi ne pas vendre les DVD directement à la sortie du film. cette vente serait réservée aux spectateurs, et n’affecterait donc pas le nombre d’entrées en salles. Le spectateur, encore sous la bonne influence du film serait en bonne ‘conditions’ pour acheter le DVD, d’autant plus qu’il sait qu’il ne pourra pas acheter le DVD avant plusieurs mois s’il ne l’achète pas sur le champ. Avec le DVD, il disposera d’une édition de bien meilleure qualité que ce qu’il pourrait télécharger sur Internet, et il gagnera du temps... que de bons arguments pour le décider. Et puis rien n’empêche de sortir une superbe édition Collector quelques mois plus tard, histoire de tenter une seconde vente avec ce même client.

Enfin, le gouvernement, s’il veut contribuer à la survie de cette économie, devrait aussi se décider à faire l’effort qui lui est demandé depuis si longtemps : baisser la TVA sur la musique et les films (que la diffusion se fasse par Internet ou par biens matériels) à 5,5%.

Conclusion

Il est utopique et même insensé de vouloir stopper les téléchargement a outrance sur Internet : c’est un nouveau mode extrêmement efficace de diffusion des œuvres audio et vidéo, contre lequel on ne peut aller. De plus, cela répond à une réelle attente des consommateurs.

Cependant, il est fort probable que à terme, Internet remplacera l’industrie du disque et du DVD dans l’accès à la création musicale et cinématographique. Il est donc fondamental de mettre en place une économie de la création basée sur Internet, qui puisse remplacer le système actuel qui ne rémunère pas les auteurs et met en péril l’avenir de la création. Il faudra bien trouver un moyen de préserver la rémunération globale des artistes (à un niveau équivalent au niveau actuel), et la juste rémunération du travail des intermédiaires (dont le rôle diminue dans un contexte de diffusion du contenu sur Internet, et donc dont le poids économique global doit diminuer).

Les moyens de sortir de la crise qui oppose les artistes à leur public sont multiples. Certes, aucune solution n’est simple, parfaite ni facile à appliquer, mais une chose apparaît clairement : la solution qui consisterait à simplement empêcher le public d’utiliser Internet pour ce qu’il est (un lieu d’échange, de partage et d’accès massif à du contenu, à moindre coût) est la pire des solutions : irréaliste et inacceptable.

Dans tout les cas, ce sont de forts bouleversements qui sont à prévoir et à accompagner. La réflexion et le dialogue doivent encore avancer pour que les choses changent réellement, à commencer par le comportement des majors. La réalité est triste pour eux, car la fin de leur règne sur la création est proche, mais l’évolution technologique et le public ne leur donnent clairement pas le choix : s’adapter ou disparaître. L’adaptation est la seule issue possible pour leur survie. Plus ils seront moteurs dans cette mutation, moins ils y perdront.

Bibliographie

[1] Un article remarquable, pertinent, très construit et documenté sur le sujet, écrit par Daniel Kaplan, délégué général de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) : http://www.fing.org/index.php ?num=4496,2#_ftnref21

[2] L’un des deux articles sources de ce document : http://www.ratiatum.com/p2p.php ?id_dossier=1524

[3] Le site de la Licence de Diffusion Culturelle http://www.champeau.info/ldc/index.php

[4] L’EFF : un autre projet de licence : http://www.eff.org/share/collective_lic_wp.pdf


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